Le lecteur attentif et soucieux des écrits canonique a pu se rendre compte que le personnage décrit par SACD n'est pas tout à fait tel que certains dessinateurs ou cinéastes l'ont dépeint.
Les clichés ont complètement dénaturé son image, au théâtre d'abord puis au cinéma. Seules l'adaptation pour la télévision faite par la Granada avec Jeremy Brett dans le rôle de Holmes et le film de Guy Ritchie rendent un peu justice aux écrits de Watson.
Mais commençons par le commencement...
Ceci n'est pas une citation officielle et canonique ! Non !
Combien de fois n'ai-je pas entendu des personnes de mon entourage, lorqu'ils apprenaient que j'étais fan de Sherlock Holmes me sortir cette phrase horripilante ?
Vous pouvez fouiller les 4 romans et les 56 nouvelles canonique, vous ne la trouverez pas.
Pourquoi ? Cette phrase a juste été inventée pour un dialogue de cinéma.
Elle est néamoins citée dans "les exploits de Sherlock Holmes" dont je vous parle dans la partie consacrée aux récits dits apocryphes. Mais ce recueil ne fait pas partie du canon puisque écrit par Adrian Conan Doyle, le fils de Arthur et John Dickson Carr.
Autre cliché : la tenue vestimentaire du détective.
Aujourd'hui, Sherlock Holmes est partout représenté coiffé d'une casquette à double visière et rabats pour les oreilles, se nommant un deeerstalker et portant un long manteau couvert d'une cape, le fameux macfarlane.
Horreur ! Holmes était un homme qui, s'il pratiquait un certain négligé à l'intérieur (sa robe de chambre gris souris), ne sortait jamais la tête nue, mais pas avec cette ridicule casquette ! Non, un gentleman, à cette époque là, sortait avec un haut de forme ou un chapeau melon, vetu d'une redingote ou une veste.
Le long manteau et la casquette lui servaient uniquement pour ses déplacements à la campagne. Ce n'était que des habits de voyage. En plus, nulle part SACD ne mentionne cette casquette à double visière. Dans "Silver Blaze" (Flamme d'Argent) il fait allusion à une casquette de voyage (Travel cap), idem pour "The hound of Baskerville" et "The Boscombe Valley mystery".
C'est à l'illustrateur du Strand magazine, Sydney Paget, que revient l'idée du deerstalker qui allait imortaliser le détective plus tard (je vous explique plus bas à qui on le tient ensuite). Mais à l'époque, les trains et les voitures tirées par des chevaux étaient mal chauffées (ou pas du tout) et les voyageurs devaient affronter l'inconfort des moyens de transports. Bref, la casquette et la cape, uniquement à la campagne, mais surtout pas en ville !
Le pire fut sans doute atteint dans le film "meurtre par décret" où on le voit arriver à l'opéra affublé de cet accoutrement. Dans la réalité, on ne l'aurait pas laissé entrer dans la salle.
Nous pouvons dire "merci" pour ce cliché empoisonné à l'acteur Basil Rathborne qui, entre 1939 et 1946 tourna 14 films où il incarna le rôle du détective. Il y portait, du début à la fin de l'épisode, le manteau et la casquette.
L'image est si forte que la traduction donnée par le dictionnaire "Robert & Collins" pour la fameuse casquette deerstalker est "la casquette de Sherlock Holmes".
Note : au sent littéral du terme, le mot "deerstalker" veut dire "casquette de chasseur de cerf".
Un des plus anciens cliché. Incohérence totale, en plus. Anachronisme, même.
Pourquoi ?
Parce que cet objet n'a été ramené en Grande-Bretagne qu'après la guerre des Boers, soit à la fin de la période couvrant les aventures de Sherlock Holmes.
D'où vient ce cliché, alors ?
Selon la légende, nous le devons aux acteurs de théâtre du début du XXe siècle qui trouvaient plus facile de donner leur texte avec ce modèle.
Dans le livre de Bernard Oudin, il attribue la demande à l'acteur William Gilette, créateur du rôle de Sherlock Holmes sur scène en 1899, et qui ajouta à la panoplie holmésienne la pipe recourbée. Il semblerait que se soit lui l'instigateur de tout cela, trouvant plus facile de dire ses répliques en ayant en bouche une pipe recourbée plutôt qu'une pipe droite. Les autres suivirent.
Pourtant, il semblerait bien que l'acteur ne fut jamais représenté avec cette fichue pipe entre les lèvres !
Lorsque, en 1916, Gillette tourna la seule et unique adaptation cinématographique de sa pièce, il utilisait encore sa pipe favorite en bruyère recourbée (curved stem briar).
Aux Etats-Unis, l'illustrateur Frederick Dorr Steele se servit de Gillette comme modèle pour dessiner Holmes. Sur les couvertures du Collier's présentant en 1903 « L'Aventure de l'entrepreneur de Norwood », figure Holmes fumant une bruyère droite, et en 1904 pour « L'Aventure des 3 étudiants », Holmes y fume une pipe en bruyère courbe. Incidemment, Steele illustra 54 des aventures sans jamais représenter Sherlock Holmes fumant une calebasse.
La cause semble donc entendue pour la légende « Gillette ». Que ce soit le comédien, ou les illustrations qu'il inspira, jamais il ne fut représenté avec cette satanée calebasse !
Mais il existe encore une autre légende : Blackbeard rapporte que Sir Arthur Conan Doyle écrivit en 1910 une pièce inspirée de la nouvelle « Le ruban moucheté ». Il aurait offert une pipe calebasse à son Holmes de scène pour cette production du London Adelphi Theater créée le 4 juin 1910.
Malgré cela, les photographies du programme de l'Adelphi, dans laquelle H. A. Saintsbury interprétait Holmes, le montre clairement tenant une pipe courbe en bruyère (curved stem briar).
Mais alors, elle vient d'où, cette horreur ?? Pas du canon, ça c'est sûr !!!
Pourquoi me demandez-vous ? Parce que dans les écrits canoniques, Watson nous rapporte précisément que Holmes, lorsque son humeur était à la discussion, aimait tirer sur sa longue pipe en merisier.
Lorsqu'il était à la méditation, il préférait celle en argile.
Dans "Le chien des Baskerville" (chapitre III), Holmes tient entre ses lèvres sa pipe en terre noire.
Parfois, lorsque le détective réfléchit intensément, il fume une pipe "puante". Ainsi, dans "La vallée de la peur", il allume "la pipe peu ragoûtante qui était la compagne de ses réflexions les plus profondes."
Hommage à la tradition française, Sherlock Holmes fume également une pipe de bruyère. Ce n'est sans doute pas une toquade passagère puisque, dans "Le signe des quatre" (Chapitre I), elle est décrite comme vieille.
Holmes ne fume la pipe que à l'intérieur, le plus souvent chez lui, jamais à l'extérieur. En revanche, partout on peut le voir fumer la cigarette. C'est aussi un amateur de cigares et il les range dans son salon, à l'intérieur d'un... seau à charbon !
Alors, quoi ? Cela viendrait-il de l'illustrateur Sidney Paget ?
Même pas ! Si nous allons voir du côté de ce talentueux Sidney Paget qui illustra 38 des aventures de Sherlock Holmes pour le Strand, soit 356 gravures au total. Que découvrons-nous ? Que Holmes y est souvent représenté perdu dans un nuage de fumée, utilisant une longue pipe droite en bruyère (long straight stem briar) telle que le préférait l'agent littéraire.
Mais jamais Holmes n'est montré fumant une calebasse ! Que ce soit dans les premières éditions anglaises ou américaines... Il va falloir poursuivre l'enquête, alors !
PS : Pour plus de détails sur les pipes de Holmes, je vous invite à aller voir l'article qui s'y rapporte. Quand vous aurez
fini votre lecture des clichés, je vous invite à cliquer sur "Les pipes de Holmes". Je vous expliquerai plus en détail ce qu'est une pipe calebasse dans un
article approprié aux pipes...
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La pipe calebasse au cinéma :
Revenons à cette fichue pipe calebasse, si vous le voulez bien.
Toutes les productions récentes présentent Holmes avec une calebasse. Encore un peu, on ne l'imaginerait plus sans cette pipe anachronique.
Il en est donc ainsi en 1989 de Michael Caine dans « Without a Clue » (Elémentaire mon cher Lock Holmes).
En 1986, dans le film de Chris Colombus, « Young Sherlock Holmes » (Le Secret de la pyramide), Nicholas Rowe et Alan Cox, qui jouait Watson, commencent, dès leur plus jeune âge, à « têter » le tuyau d'une calebasse.
En 1980, Christopher Plummer utilise le même accessoire dans « Murder by Decree » (Meurtres par décret), et, en 1976, Roger Moore en faisait autant dans « Sherlock Holmes in New York ».
Quand la pièce de William Gillette « Sherlock Holmes » fut rejouée en 1974, John Wood puis Leonard Nimoy (le célèbre Spock) utilisèrent une calebasse géante.
Et, en 1970, dans le film de Billy Wilder « The Private Life of Sherlock Holmes » (La Vie privée de Sherlock Holmes), on peut voir Robert Stephens fumer une calebasse.
La seule exception durant cette période fut l'adaptation faite par la Granada avec Jeremy Brett qui restait très fidèle au Canon, tout au moins dans les habitudes tabagiques de Sherlock Holmes (à l'exception d'un clin d'oeil dans l'épisode « Le Dernier problème » où Holmes fume une calebasse pendant une halte lors de son expédition dans les Alpes).
Les Northern Musgraves du West Yorkshire ont publié, il y a quelques années, la monographie de John Hall (140 Differents Varieties - A Review of Tobacco in the Canon).
L'auteur y dit que la première brève apparition de la calebasse fut dans le film de 1965 « A study in Terror » (Sherlock Holmes contre Jack l'éventreur) avec John Neville.
Avant 1965, les adaptations holmésiennes sérieuses, au cinéma et au théâtre, utilisèrent généralement une pipe en bruyère, droite ou courbe, correcte.
Arthur Wontner, Ellie Norwood, John Barrymore et Basil Rathbone, que ce soit sur les planches ou à l'écran, eurent toujours en bouche une pipe canoniquement traditionnelle.
Alors quand apparut cette première calebasse ? Cette maudite pipe si monstrueuse ne prouve-t-elle pas par son exagération qu'il faille chercher du côté des comédies ? Depuis toujours l'exagération est un ressort comique classique, et pour bien parodier un personnage, il faut tout d'abord bien le typer...
En 1954, un film d'Abbott et Costello, célèbre duo ayant succédé à Laurel et Hardy et connus en France sous l'appellation des « Deux nigauds », s'intitulait « Abbott and Costello meet the invisible man » (Les Deux nigauds contre l'homme invisible). Une photographie publicitaire, parue dans le San Francisco Chronicle, montre Lou Costello, deerstalker sur la tête, utilisant un gigantesque accessoire : une pipe calebasse.
Pour l'exploitation à l'étranger, l'affiche du film montrait Costello tenant la calebasse, et le titre du film était devenu « In the Footsteps of Sherlock Holmes ». Mais ce n'était pas le premier coup du duo.
La publicité parue dans l'Oakland Tribune du 29 janvier 1943 pour le film Who done it, montre Franck Abbott habillé en Holmes avec la calebasse ! Mais, dans ce film, les deux comédiens jouaient des auteurs d'histoires de détective pour la radio new-yorkaise, et n'imitaient pas Holmes à l'écran.
Au même moment à peu près, Laurel et Hardy, cette fois-ci, apparaissaient dans « The Big Noise » en 1944 où l'on pouvait les voir en pyjama portant une deerstalker. Stanley Laurel y fume une calebasse. Mais la vérité est que chacune de ces équipes de comiques s'est appropriée l'idée d'utiliser une pipe hors norme et démesurée déjà développée par une plus ancienne troupe de vaudeville.
La plus ancienne calebasse qu'ait trouvé Robert S. Ennis 20 fut utilisée par Robert Woolsey de la troupe de vaudeville « Wheeler and Woolsey »,dans le film « The Nitwits » en 1936.
Woolsey apparaît avec une deerstalker et une calebasse à la bouche sur une photographie publiée dans le Los Angeles Times le 7 avril 1936.
1936 serait donc la première apparition de la pipe calebasse associée à l'image de Sherlock Holmes ? Il semblerait, pour le moment.
Le pauvre docteur Watson a vu aussi son image dénaturée en un siècle.
C'était un gentleman robuste, très sportif malgré une blessure reçue en Afghanistan (ou deux, selon... une à l'épaule et une à la jambe) et doté d'une intelligence normale.
Quelle image avons-nous aujourd'hui ? Celle d'un pépé rondouillard, bête comme ses pieds, ne servant que de faire valloir à Holmes. Cette image peu flateuse doit beaucoup à l'acteur Nigel Bruce, le Watson de Basil Rathborne, qui n'était là que pour mettre une pointe d'humour dans les films.
Heureusement que la Granada et la BBC ont remédiées à ce cliché, sans oublier Guy Ritchie qui nous offre un Watson jeune et énergique dans son film.
Un autre film nous présentait un Watson brillant et un Holmes débile. Il s'agit de "Elementaire, mon cher Lock Holmes" (Without a clue) ou Michael Caine joue le rôle du Holmes coureur de jupons et crétin fini tandis que Ben Kingsley tire les ficelles en tant que Watson intelligent.
Contrairement aux idées reçues, Holmes a déjà été battu ou s'est trompé. Notamment dans SCAN, avec cette chère Irene.
Mais tout cela fait partie d'un article plus détaillé concernant ses échecs.
LE sujet ! Holmes aurait-il eu des sentiments pour LA femme ? Ou bien était-il si misogyne qu'il ne l'a même pas remarqué ?
Ou pire : il détestait vraiment les femmes au point qu'ils ne les considèrent vraiment comme des machines à pondre des enfants ?
Non, évitez de me parler qu'il aurait aimé les hommes ! Restons sérieux !
Bon, pour la misogynie, je sais que les avis sont partagés... Très partagé, même !
Pour ma part, je pense que non. En effet, dans le canon, Holmes ne dit jamais qu'il déteste les femmes. Il dit simplement que les sentiments qu'il pourrait ressentir pourraient perturber son raisonnement. Par exemple dans le Signe des quatre : Holmes à Watson « Personnellement, je ne me marierai jamais de peur que mes jugements n'en soient faussés. »
Et comme, tout au long du canon, Watson nous montre la prévenance et la douceur dont Sherlock Holmes sait faire preuve envers ses clientes, je crois que la balance penche en ma faveur...
Il se méfiait des femmes et de leurs comportement parfois irrationnels (SECO), et sur ce point là, je ne lui donnerai pas tout à fait tort... avant de me faire lyncher par le lectorat féminin.
N'oublions pas que nous sommes à l'époque victorienne et que les moeurs, les pensées, n'étaient pas les mêmes que de nos jours.
Sources :
- "Enquête sur Sherlock Holmes" de Bernard Oudin (Découvertes Gallimard, p28-29)
- Site de la SSHF qui consacre une partie aux clichés de Holmes.
- Site "les dix-septs marches" pour la partie concernant les pipes
- "The Sherlock Holmes Pub Police News". Petit journal publié par la SSHF
- Article rédigé par Roland Nicolas "quelle pipe pour Sherlock Holmes" et publié sur le site de la SSHF en 2002.